Alice
Thierry Janssen et Jasmina Douieb
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Création:
novembre-décembre 2015 Théâtre royal du Parc
www.theatreduparc.be/
Un voyage au pays des songes et de l’émerveillement
Les mythes ont ceci de particulier qu’ils fascinent et marquent les sens. Ils outrepassent toutes les frontières : culturelles, générationnelles et temporelles. Ils échappent à toutes les réductions, simplifications ou tentatives d’en cerner les contours. Ils partent en fumée sitôt que vous tentez de les saisir. Et pourtant, les histoires qu’ils charrient hypnotisent les esprits, comme des rêves ou des fantasmes. Les Aventures d’Alice[1], c’est bien plus qu’un livre pour enfants, c’est un mille-feuilles qui touche au mythe. C’est une mer d’histoires aux multiples entrées.
Thierry Jansen et moi, camarades de scène de longue date, nous sommes associés pour écrire ensemble une adaptation, ou plutôt une vision théâtrale de ce texte mystérieux et hypnotique. Nous avons voulu interroger le regard de l’adulte sur ses lectures d’enfant et pénétrer dans cet univers par l’objet même du livre.
Cette revisite sera une invitation au voyage et au rêve. Le plateau du théâtre du Parc, cerclé de dorures, semble vouloir rappeler toujours au spectateur qu’on est au théâtre. Pour nous, la scène sera le lieu de toutes les explorations, de tous les possibles du Let’s Pretend (on disait que) imaginé par la petite Alice. Dans ce royaume aux règles indéchiffrables et opaques, les portes ouvrent sur d’infinis jardins, les chenilles philosophent en fumant le houka, et les lapins portent des montres à gousset …
Ici, les montres, les horloges, les coucous se multiplient, tentatives désespérées de l’homme pour capter le temps…
Justement, le Temps. Celui après lequel le lapin ne fait que courir (à moins qu’il ne soit poursuivi par lui ?), celui qui peut se disputer avec les gens et les condamner à rester figés à l’heure du thé, celui qui engendre les métamorphoses du corps, celui qui passe ou ne passe pas, mais qui n’est jamais aujourd’hui, le Temps a été notre fil d’Ariane.
Oui, « ici, on est capable de se rappeler les événements avant qu’ils arrivent. C’est ce qui arrive quand on vit à l’envers. » Car « la règle est formelle : confiture demain et confiture hier –mais jamais confiture aujourd’hui» !
Notre entrée dans le livre propose une sorte de voyage temporel. Car dans le Wonderland, on va dans les deux sens à la fois, du futur au passé, de la veille au lendemain, de l’effet à la cause. Le non-sens est plus qu’un jeu chez Carroll; il détruit le bon sens ‘en tant que sens unique’[2]. La petite Alice est en état de devenir permanent. Ses transformations de taille et donc d’âge - puisque, par ce biais, elle grandit -, brouillent son identité qui devient infinie. Elle est, dans son corps, à la fois hier et demain ; elle est toutes les possibilités d’elle-même réunies dans un même espace temps. Dans cette esthétique du renversement, les contours d’Alice s’effacent. Elle se cogne aux murs d’un monde désespérément trop grand ou trop petit pour elle. Un monde auquel elle ne parvient pas à appartenir. Jamais la bonne taille, jamais la bonne attitude.
Imaginons donc une Alice aux contours brouillés, une Alice de 30 ans, sur les pas de son enfance et de son propre imaginaire, à la recherche du sens de sa vie. Ou du sens qu’elle décidera de lui donner. Une créature imaginaire et imaginée, qui prend pourtant ses racines dans de la chair véritable : Alice Liddell, petite fille d’une dizaine d’années, inspiratrice des Aventures d’Alice au Pays des Merveilles.
Muse courant après son créateur et ami, au hasard d’improbables rencontres, elle semble enfermée dans cette fiction créée pour elle. Trouvera-t-elle le moyen d’échapper à elle-même et à son refus de laisser le temps couler sur elle ?
Cette petite fille devenue grande, restée incomplète et sans repères, fera dans le Wonderland[3] un dernier voyage littéraire et initiatique, lui permettant, qui sait, de faire sauter ses propres verrous…
Pour conclure, je cèderai la parole à Lewis Carroll qui, dans une lettre, parlait du sens de son poème La chasse au Snark. Peut-être y trouverez-vous le sens d’Alice au Pays des Merveilles ? :
« Quant au sens du Snark… je crains de n’avoir voulu que du nonsense ! Cela dit, vous savez bien que les mots signifient plus que ce que nous voulions leur faire dire ; et que donc un livre entier doit signifier bien plus que l’auteur y mettait. Donc, quelles que soient les interprétations honnêtes que l’on y trouve, je suis prêt à les accepter. La meilleure que l’on m’ait proposée vient d’une dame … : tout le livre serait une allégorie de la quête du bonheur.»
Jasmina Douieb
[1] Nous avons choisi de partir des trois Alice : Sous Terre, Au Pays des Merveilles et De l’Autre Côté du Miroir.
[2] Gilles DELEUZE, La logique du sens.
[3] Le Wonder-land, c’est bien plus que le ‘pays des merveilles’, c’est le pays de l’étonnement, de l’incrédulité. Une surprise qui sera le moteur de notre Alice. Tout le monde est fou, certes, mais avec sérieux car rien n’est plus sérieux que le jeu ! Et en particulier le jeu de langage. Tout est langage chez Carroll : on parle beaucoup, on argumente, on ergote. Mais attention, le langage est avant tout créateur de fiction : « une fois qu’une chose est dite, c’est définitif et il faut en subir les conséquences. » !
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