Himmelweg
Juan Mayorga
Nominé aux prix du théâtre dans la catégorie meilleur spectacle, Michelangelo Marchese nommé meilleur acteur
Un spectacle de la compagnie Entre Chiens et Loups en coproduction avec l’Atelier 210 et en partenariat avec le Rideau de Bruxelles.
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Création:
mars 2011 Atelier 210
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TRADUCTION Yves Lebeau
MISE EN SCÈNE Jasmina Douieb
INTERPRÉTATION Jean-Marc Delhausse Luc Van Grunderbeeck Michelangelo Marchese
SCENOGRAPHIE Renata Gorka
SON ET IMAGE Sébastien Fernandez
DRAMATURGIE Ana Rodriguez
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Au cœur de la Seconde guerre mondiale, un délégué de la Croix Rouge, Maurice Rossel, visitait Theresienstadt, et devenait, malgré lui, acteur dans la mise en scène imaginée par les nazis. Celui qui avait été envoyé pour voir n’a rien vu. Il a photographié la mise en scène des bourreaux, et s’est mué lui-même en complice de ce qu’il cherchait à dénoncer.
Les trois personnages de ce récit éclaté sur la mémoire sont enfermés dans leur demi-conscience, sorte de purgatoire atemporel où ils sont à jamais pris dans les filets de leur aveuglement et de leurs silences.
Mais, surtout, par cette pièce où passé, présent, ici et là-bas se mêlent, Mayorga nous amène à réfléchir à notre façon de fermer les yeux face à l’horreur et à la barbarie de notre monde. Himmelweg est une parabole sur notre éternel aveuglement et sur cette attitude un peu schizophrène qui nous fait oublier les atrocités du monde pour pouvoir continuer à vivre soi-même paisiblement.
Car il s’agit ici de questionner notre rapport à ce qu’on voit, à ce qu’on veut bien voir et à ce que, trop abreuvés d’images, on ne voit plus …
Quel est notre rapport aujourd’hui à la réalité ? Et où se situe la réalité ? Où commence la fiction quand on capture le réel ? Ce réel qui une fois capturé devient une image figée, porteuse du sens que l’on choisit de lui donner… Ce réel qui n’est celui que l’on voit que parce qu’on le regarde. Car, dans notre société surinformée, la pluralité de l’information est, on le sait, de plus en plus difficile à dominer ; elle s’infiltre partout, offre des interprétations et des visions multiples des mêmes faits. Au point qu’il est parfois bien compliqué d’y voir clair et de saisir la vérité.
Le témoignage n’est-il pas toujours une voix construite ? La fiction peut-elle s’emparer du réel et dans quelle mesure n’est-elle pas parfois plus à même de dire le vrai… ?!
En montant cette pièce de cette façon, je voulais interroger notre rapport à l’image, son statut dans nos vies et notre responsabilité de témoins, d’yeux du monde…
Les trois culpabilités de ces personnages-témoins se répondront ainsi dans un entrecroisement de je et de jeux.
Et c’est sur ce chemin vers le ciel que nous errons entre hier et aujourd’hui, là où la fumée s’est arrêtée, où l'herbe a repoussé mais où les fantômes sont toujours là, qui attendent en silence.
La fiction pour dire le vrai
« L’homme ne s’avise de la réalité que lorsqu’il l’a représentée et rien jamais n’a pu mieux la représenter que le théâtre »
Pier Paolo Pasolini, Affabulazione
La visite de Maurice Rossel à Theresienstadt a pour objectif de dire le vrai. Or, comme le dit Mayorga lui-même, il en est de même de la mission de la philosophie et de la mission de l’art. Ces deux missions coïncident : elles ont pour mission de dire la vérité. Ce qui ne signifie pas, qu’elles possèdent la vérité ni qu’elles sachent l’exprimer, poursuit le dramaturge, mais bien qu’elles ont la vérité comme horizon. Comme la philosophie, l’art dévoile la réalité, la rend visible. « Parce que la réalité n’est pas évidente en soi. Pour le dire d’une autre manière : la vérité n’est pas naturelle ; la vérité est une construction. Il faut un artifice qui nous montre ce que l’œil ne voit pas. » Et le théâtre est l’artifice le mieux choisi pour dire le vrai car il est l’acte politique par excellence : en réunissant une assemblée, il convoque la cité et dialogue avec elle.
Mais Mayorga se garde bien de faire de ses textes un théâtre de thèse visant à exprimer ses convictions et à en convaincre les spectateurs. Il écrit essentiellement pour les questions que ces derniers seront amenés à se poser, pour le doute qui pourrait s’insinuer en eux. Mayorga écrit un théâtre de pensée duquel « le spectateur ne doit pas sortir chargé d’idées mais d’une impulsion critique ».
Par ailleurs, la métaphore théâtrale que l’auteur utilise augmente encore le vertige. Comme le dit le personnage du Commandant, l’acteur une fois le rideau tombé n’est plus rien : il est démuni face au vide. Ce camp, devenu une scène de théâtre l’espace d’une journée, revient, une fois le rideau tombé, à être ce qu’il était, un camp de la mort et tous les acteurs de cette farce sinistre mourront peu après…
Jasmina Douieb
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